Le Mont NEMROUT (Nemrut Dagi)


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En territoire kurde...
un pays de contrastes


D'Antioche à Adiyaman, nous parcourons une contrée aride, aux frontières de la Syrie. Nous y percevons divers contrastes, incohérences et anachronismes.

Dans cette contrée kurde de la région d'Andiyaman, on voit aussi bien de larges routes, que des petits pompages de pétrole, des maisons en briques de terre crue avec un toit en terrasse constitué de perches supportant une couche de ces mêmes briques ou encore des paysans chevauchant ânes et mulets.

Mont NEMROUT - terrasse ouest: tête d'Antiochos Ier.

Le comble, un paysan rentrant déjeuner, à dos âne, tout en téléphonant avec son portable!!! Il est vrai que de place en place, les collines sont surmontées de pylônes et relais pour ces téléphones (plus nombreux en Turquie que les fixes!).
On ne peut donc nier que des actions d'aménagement sont entreprises dans cette région.

Arrivés à proximité du NEMRUT, nous découvrons le lac artificiel créé sur l'Euphrate par le barrage Atatürk, autre témoignage grandiose de ces évolutions. A signaler que cette réalisation pharaonique se fait malgré les récriminations des pays voisins situés en aval et auquel la Turquie n'assure qu'un débit minimal d'étiage (qui de toute manière restera toujours réduit par rapport à ce qu'il était à l'origine).

Nous sommes ici dans un territoire habité par une population kurde qui, à notre étonnement, se révèle très accueillante aux touristes que nous sommes: les enfants dans les rues ou depuis les cours d'école nous saluent joyeusement et cherchent le contact au travers de quelques mots allemands ou anglais. C'est notamment le cas lors de notre étape à Adiyaman.

Ici, la fréquentation touristique est tellement faible qu'un hôtel surdimensionné est réouvert pour notre petit groupe!

Condensé historique
de COMMANÈGE...


C'est une région de plateaux et de montagnes de plus de 2000 m (2150 m pour le Mont NEMRUT).

Le territoire de Commanège a été contrôlé par les Assyriens puis par les Babyloniens qui leur ont succédé (IIe millénaire av. JC) puis les Hittites ont occupé la région.

Le pays passa sous la domination des Perses (qui après avoir soutenu Sparte contre Athènes dans les Guerres du Péloponnèse ont tourné leurs ambitions vers l'Anatolie) aux VIe s. av. JC et se maintint jusqu'en 333 av. JC, avec la défaite de Darius III par Alexandre le Grand à Issus, victoire parachevée en -332 à Tyr.

Après la mort d'Alexandre en -323 (après sa campagne vers l'Inde), son empire est partagé entre ses généraux et le territoire de Commanège fit partie du Royaume de Séleucos Ier établi à Antioche. Il poursuivit la politique hellénistique introduite par Alexandre.

L'ascension de l'Empire Romain modifia les rapports de forces dans la région. Antiochos III, malgré la supériorité apparente de son armée, fut vaincu par les Romains lors de la bataille de Magnésie en -190.

Mais le contrôle de la région échappa en partie aux Romains et le satrape Samos, gouverneur de Commanège, déclara l'indépendance du nouveau royaume et établit sa capitale à Samosata. Son petit-fils épousa une descendante des Séleucides, laquelle donna naissance à Antiochos Ier ( - 69 à  - 31) qui utilisa ainsi la diversité de son ascendance pour légitimer son propre culte, à défaut de sa puissance.

Rome (Pompée) reconnu le nouveau souverain qui profitant d'une situation stable favorisa la prospérité du pays et établi le culte au Dieu-Roi et à ses ancêtres.

Dans le conflit qui opposait les prétendants à l'Empire de Rome, son fils choisi mal son camp en soutenant Marc-Antoine et Cléopâtre contre Octave. Ce dernier remporta la bataille navale d'Actium en -31 et devint l'empereur Auguste.

Le déclin du petit royaume de plus en plus soumis aux Romains allait être inexorable. Il fut progressivement annexé à la Province Romaine de Syrie (annexion définitive ) à la fin du Ier s. de notre ère.

Nous accédons avec force cahotements au pied du Mont NEMRUT, en véhicules 4x4, par une piste pavée de blocs grossiers de pierre volcanique (?) dure. Il nous reste à gravir le sommet par une voie dallée qui conduit à un tumulus.

 Le site a été classé au Patrimoine Mondial de l'UNESCO en 1987.



Le site se trouve au sommet d'une montagne, le Mont NEMRUT où, bien que ce soit le printemps, il gèle pratiquement (à 2150 m rappelons le).

Le site ne fut mentionné qu'en 1835 par un officier allemand qui se livrait à une reconnaissance géographique de la région mais la description n'en fut faite qu'en 1881 par un ingénieur allemand (au moment où d'autres Allemands découvraient Troie, à l'autre extrémité de la Turquie!).

Les vestiges archéologiques monumentaux qui s'y dressent témoignent d'un culte syncrétique, mêlant d'anciennes croyances orientales remontant aux Hittites, aux Assyriens et aux Perses, notamment le culte au "Roi-Dieu". Par ailleurs l'apport occidental s'est superposé au travers des Grecs puis des Romains.
C'est ainsi que le nom du dieu perse Mithras se trouve étrangement écrit en grec sur une stèle du Nemrut.

En fait, Antiochos Ier (-69 à -31), objet et auteur de ce culte, aurait commencé par établir son culte sur une filiation grecque avant d'élaborer sa lignée perse pour aboutir à une sorte de Panthéon gréco-perse dans lequel il s'installe lui-même.
Cette évolution semblait aussi dictée comme un moyen d'obtenir une adhésion populaire à son culte dans la mesure où les divinités perses avaient conservé une certaine faveur dans le peuple.


"Notre Roi-Dieu" n'était pas pour autant assuré de la foi populaire, c'est pourquoi les fidèles venant assister aux cérémonies étaient récompensés par de bon repas bien arrosés lors des anniversaires de la naissance et du couronnement du roi. De grands feux étaient entretenus là afin d'être visible des sujets sur toute l'étendue du territoire.
On comprend que ce culte artificiel ne pouvait qu'être éphémère.



Mont NEMROUT - terrasse ouest: tête d'Antiochos Ier. Mont NEMROUT - terrasse ouest: tête d'Antiochos Ier. Mont NEMROUT - terrasse ouest: tête d'Antiochos Ier.
Mont NEMROUT - terrasse ouest: tête de la statue d'Antiochos Ier.


Le tumulus qui couronne la montagne est fait de fragments de pierre (hiérothésion). Il mesure 50 m (75 à l'origine) de haut pour un diamètre de 150 m. Malgré ce que l'on pouvait imaginer et ce d'autant plus qu'une inscription sur le site même indique, il ne comporte aucune chambre funéraire (qui aurait reçu la dépouille d'Antiochos Ier) comme des sondages l'ont prouvé (alors que le tumulus de Karakus situé non loin de là en comportait une).

Mont NEMROUT - terrasse ouest: lion ptotecteur. Mont NEMROUT - terrasse ouest: lion du zodiaque. Mont NEMROUT - terrasse ouest: Antiochos I et  Apollon-Mithras
Mont NEMROUT - les lions de la terrasse ouest, statue et bas-relief. Autre bas-relief de la terrasse ouest:
Antiochos Ier et Apollon-Mithras.
Le tumulus est bordé par 3 terrasses. Celle du nord semble n'avoir jamais été achevée.
Les terrasses est et ouest (un peu plus élevée) présentent sensiblement les mêmes dispositifs: une rangée de statues et trois rangées de bas-reliefs.
Si les statues et reliefs ont peu souffert de l'érosion, en revanche les secousses sismiques ont causé de plus grands dommages (surtout en terrasse ouest) en mettant à-bas les têtes des divinités.

Sur les terrasses est et ouest, une rangée de statues monumentales disposée au fond, était organisée de la façon suivante, en partant de la gauche: un lion et un aigle protecteurs, Antiochos Ier, la déesse Commanège, Zeus-Oromasdès, Apollon-Mithras, Héraclès-Artagnès-Arès et, à nouveau, les deux protecteurs. Les personnages étaient représentés en position assise sur une trône.

En avant se trouvait une rangée de bas-reliefs. Deux autres rangées de reliefs fermaient les côtés de la terrasse. Celle de l'est comporte en plus un autel.

Au dos des statues et des reliefs sont gravés en grec, des textes de prières, de lois et la généalogie royale...

Mont NEMROUT - terrasse ouest. Mont NEMROUT - terrasse est. Mont NEMROUT - terrasse est. Texte sur le culte.
Mont NEMROUT - terrasse ouest.
de gauche à droite,
Antiochos caché par Zeus-Oromasdès, Commanège (fortune), un aigle protecteur, Appolon-Mithras caché par Héraclès-Artagnès-Arès
Mont NEMROUT - terrasse est.
Au tout premier plan, un angle de l'autel.
Mont NEMROUT - terrasse est.
Texte sur le culte gravé au dos d'une statue.

Il faut souligner l'originalité de ces statues, sans doutes sculptées par des artistes grecs. Si on y retrouve les lèvres entr'ouvertes à la manière héllénistique, les épaisses barbes et les coiffes sont d'inspiration perse.



Vers -550, l'Empire Perse constituait le plus grand empire de la région, allant du nord de la Grèce jusqu'aux portes de l'Inde en couvrant les pays actuels que sont: Turquie (Anatolie), les rives de la mer Noire, Arménie, Géorgie, Liban, Syrie, Palestine, Jordanie, Égypte, Irak (avec la Mésopotamie correspondant à l'ancienne Sumer de -4000 à -2000 puis au royaume de Babylone), Iran, Afghanistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Pakistan...

Mont NEMROUT (ouest) - Zeus-Oromasdès (et Commanège). Mont NEMROUT (ouest) - Commanège. Mont NEMROUT - terrasse est. Aigle protecteur.
Mont NEMROUT - terrasse ouest.
Zeus-Oromasdès et Commanège (coupée).
Mont NEMROUT - terrasse ouest, Commanège. Mont NEMROUT - terrasse est.
Aigle protecteur.


Dans les environs existent d'autres sites du culte (les collines d'Arsameia sur Nymphaios, tumulus de Karakus, tumulus de Sesonk..).

Malheureusement, le barrage Atatürk dont la mise en eau progressive va donner naissance à un lac long de 800 km a déjà commencé à noyer certains sites de la région. Du Mont Nemrut, nous apercevons bien les vallées que commencent à submerger les eaux de l'Euphrate retenues dans ce nouveau lac artificiel.
Bien sûr (on retrouve là, pour partie, un problème rencontré par l'Égypte avec le barrage d'Assouan), l'impératif du développement économique, notamment agricole, d'une région aride conduit à certains choix et à des sacrifices malgré les efforts pour sauvegarder certaines traces du passé. Ici, pour les sites menacés, il n'a pas été fait le choix du démontage et du déplacement... Et malheureusement, le procédé italien qui a été retenu pour la préservation des fresques et mosaïques, en vue de l'immersion, va s'avérer inefficace.

Autre péril, l'existence de gisements pétroliers dans la région (on a vu de ces pompes à balancier).



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TURQUIE orientale