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Après avoir été déposés au bord de la route
près du parc El Cubano, nous retrouvons notre bus et c'est le départ
vers Cienfuegos par une route secondaire, un petit trajet d'environ 50 km.
Spectacle habituel au long de la route: des tracteurs ou des chevaux tirant
des remorques remplies de voyageurs, aux arrêts de bus, les hommes en jaune,
les fameux amarillos chargés d'arrêter les transports en communs
afin de veiller à ce qu'ils roulent remplis au mieux, cimetières,
ruchers, quelques maisons basses et récentes construites après les
ouragans qui ont fortement sévi dans cette région.
Nous arrivons déjà à Cienfuegos, "la Perle du Sud" qui domine la magnifique Baie de Jagua. C'est une ville récente au plan parfaitement en damier, on la qualifie de "ville à la française". Son classement au Patrimoine Mondial de l'UNESCO remonte à 2005 .
CIENFUEGOS
est une ville de 150 000 habitants, capitale provinciale au centre historique
préservé. Son port bien protégé est construit sur
un lac relié à la mer par une passe étroite. Christophe Colomb
en découvrit le golfe peuplé par les indiens Jagua en 1494 lors
de son second voyage aux Amériques.
Les Espagnols construisent une
forteresse en 1745 et la ville fut fondée seulement en 1819. L'immigration
européenne, française notamment, fut favorisée vers cette ville.
C'est pourquoi cet ancien port sucrier aux maisons coloniales porte la marque
de colons d'origine bordelaise ou venus de Louisiane comme Nicolas de Clouet son
fondateur. L'année suivante elle prit le nom du gouverneur général
de l'époque, José Cienfuegos (c'est aussi le patronyme d'un des
principaux compagnons de Fidel et du Che). Ce fut la première ville à
se soulever contre Batista dès septembre 1957.
Moins valorisants: le
chantier de construction de l'unique centrale nucléaire cubaine a été
laissé à l'abandon par les soviétiques, une raffinerie (une
partie des hydrocarbures raffinés sont réexportés), des chantiers
navals, une base de la marine...
Après avoir déposé nos bagages et nous être rafraîchis
à l'hôtel situé en plein centre (Calle 33), nous gagnons El
Boulevard (ou Avenida 54), axe piétonnier qui nous conduit au Parque
Marti** (Parque
Central), l'ancienne place d'Armes,
on l'on peut admirer de nombreux édifices coloniaux des XVIIIe et XIXe s.
Les monuments qui entourent la place sont tous d'importance historique. Monument
à José Marti édifié en 1906, Arc de Triomphe de 1902
commémorant l'instauration de la république, Antiguo Ayuntamento,
le gouvernement local.
La cathédrale de l'Immaculée Conception
(Purisima Concepcion) du milieu du XIXe s. est remarquable par ses
clochers asymétriques (vitraux fabriqués en France).
En face, sur l'autre rive de la place, le Palacio Ferrer devenu Maison de la Culture ne passe pas inaperçu avec son belvédère bleu. Son voisin est unique à Cuba, il s'agit d'un Arc de Triomphe (1902) actuellement en restauration.
Le
Teatro Tomas Terry occupe le nord de la place. C'est l'un des plus anciens
théâtres d'Amérique Latine toujours en activité.
Il fut construit en 1889 par un ancien planteur esclavagiste devenu maire de la
ville (parti de rien ce personnage devint la troisième fortune de l'île!).
C'est un théâtre à l'italienne à la façade austère
mais dont la salle est décorée d'une immense fresque. Les céramiques
ornant ses frontons sont d'origine vénitienne et représentent les
Trois Grâces.
La visite que nous en faisons permet de voir son aménagement
intérieur tout en bois dur et très aéré (claustras).
On est sous les tropiques, ne l'oublions pas.
Grâce à un plancher
monté sur vérins, il a pu servir de salle de spectacle polyvalente
accueillant aussi bien combats de boxe ou combats de coqs que du théâtre
ou de l'Opéra (la Française Sarah Bernhardt ou l'Italien Enrico
Caruso s'y produisaient il y a un siècle). Parfois on y donne encore de
grandes pièces ou de grands ballets.
Un
grand panneau de propagande réclame le retour des cinq Cubains "injustement"
emprisonnés aux USA comme terroristes alors qu'ils étaient en mission
d'infiltration. Nous avions déjà vu cette protestation et nous verrons
encore un peu partout ce genre d'affiche (y compris dans les classes).
Comme il
n'est pas encore très tard, nous sommes quelques uns à entreprendre
un petit tour au-delà du centre.
Nos pas se dirigent tout d'abord
plein nord (Calle 25), en direction de Cayo Loco (l'Ile Folle ou l'Ile de la Folie,!
tout un programme!). La qualité urbaine se détériore rapidement:
immeubles dégradés, fortes odeurs d'égouts et nous arrivons
au bord d'une rade qui sert aussi de dépôt d'ordures et d'où l'on
peut voir le port militaire et la raffinerie sur son autre rive.
Virage
à 90° vers l'est (par l'Avenida 62) en direction du quartier San Lazaro.
La ville se fait à nouveau plus seyante
quand on a rejoint le Paseo del Prado que nous empruntons en direction du sud.
Et nous terminons notre "carré" par l'Avenida 54, axe piétonnier
et commerçant emprunté à notre arrivée.
Il
n'est pas encore trop tard pour faire un autre tour dans la direction opposée,
le quartier au sud du Parque Marti. Quartier populaire mais moins dégradé
que le précédent. On peut y voir un écriteau sur une maison
proposant un échange d'appartement (puisque la vente est prohibée)
selon le système de la "permuta". Cela nous conduit au
port quasiment vide de toute activité et aux chantiers navals, en passant
à l'ombre d'énormes ficus banians. Un pêcheur improvisé
s'éloigne dans la baie sur une barquette de fortune qui semble faite de
morceaux de polystyrène.
Ce soir
nous dînons dans un palais des Mille et Une Nuits, le Palacio del Valle**.
Il se situe à l'extrême pointe sud de la Punta Gorda et, en plein
jour, on aurait une superbe vue sur la baie depuis
sa terrasse où un bar est installé.
Cette
construction très originale, kitschissime, qui tient du gâteau à
la crème ou de la meringue, mêle motifs gothiques, vénitiens
et néomauresques. Le palais a été bâti par Acisclo
des Calle Blanco, un riche négociant sucrier, il n'y a pas tout à
fait un siècle (1913-17). C'était un casino jusqu'à la chute
de Batista avec la révolution de 1959. C'est alors que la famille del Valle
quitta Cuba pour l'Espagne, ne laissant qu'une gouvernante qui remit les clefs
à Fidel Castro. L'établissement servit alors d'école hôtelière
avant d'être repris par le tout proche hôtel Jagua.
Dommage
qu'il fasse nuit ce qui empêche d'en apprécier totalement l'architecture
mais l'éclairage met paradoxalement en valeur certains détails que
la lumière crue du soleil cubain estomperait. Les trois tours qui surmontent
sa façade à deux étages symbolisent, de gauche à droite,
l'amour, la religion et le pouvoir.
Avant de dîner un petit tour sur
la terrasse s'impose. Un vent bien froid s'y fait sentir et les visiteurs n'y
restent qu'un bref instant.
Dans le restaurant du palais, on peut manger langouste et fruits de mer mais notre repas sera plus frugal. Régalons nous donc du décor. En fait la réputation de l'endroit n'est pas extraordinaire et on peut le confirmer par cette expérience: cuisine convenable mais le service pourrait être amélioré (il faut dire aussi que la disposition des salles en enfilade ne facilite pas le service).
Une autre petite touche de fantaisie avec la voix de la Joséphine Baker locale et les notes égrenées par le piano de cette Carmensita, une artiste âgée mais qui cultive toujours son élégance. Elle a cessé de compter les années passés ses 80 ans (mais depuis quand a-t-elle renoncé à compter les années?).
Retour à l'hôtel
La Union **** (groupe hôtelier Cubanacan) où nous avions déposé
nos bagages en milieu d'après-midi.
Il est constitué
de bâtiments de quatre étages à l'architecture coloniale du
XIXe s. disposés autour de grands patios. Fenêtres à
vitraux et grilles en fer forgé
avec toujours des jalousies
en bois permettant de filtrer la lumière.
Luxe et modernité (ascenseur panoramique en verre) d'un petit hôtel
(49
ch.) à
l'atmosphère Vieux Monde.
Mais situé en centre ville et sans double vitrage, il est forcément
un peu bruyant si l'on n'a pas la chance d'occuper une chambre donnant sur un
patio. Salle de restaurant avec quelques touches de décoration (meubles
d'époque coloniale).
Si
nous avions eu un plus long séjour dans
cette ville ou dans ses environs, on aurait pu voir aussi :
- la Punta Gorda
- le Cimetière municipal La Reina (statue de la Belle Endormie)
- le
Castillo de Jagua (près du Palacio del Valle)
- le Jardin botanique
Soledad
Nous quittons notre agréable hôtel pour gagner La Havane en fin de journée. Pas à vélo! pourtant cet engin va nous occasionner encore quelques soucis.
Notre guide avait prévu de nous faire passer dans le secteur de la Punta Gorda afin que nous ayons un aperçu en pleine lumière de l'Hotel Jagua et du Palacio del Valle. Mais démunie d'informations, elle ignore que précisément la vuelta est également arrivée ici et que pendant la matinée, en première partie de sa 18ème étape, elle fait dix fois un circuit montant et descendant le Paseo del Prado (au total 60 km), l'axe que nous devions emprunter.
Déception,
une heure de perdue à chercher une issue. Il faut renoncer et s'échapper
en passant tout au nord du Paseo.
Avant de nous diriger vers La Havane, nous faisons un crochet d'environ 120 km en prenant la direction de la Baie des Cochons (le nom provient du fait que des sangliers vivaient dans la forêt lorsque la région fut découverte).
Nous
remontons un peu dans l'intérieur de l'île (par Yaguaramas), une
région agricole prospère de maraîchage (notamment culture
de malanga, un légume ressemblant au topinambour), horticulture,
grande culture irriguée mais pourtant travail de la terre à l'araire
tirée par des boeufs (justifications écologiques: moindre dégradation
du sol qu'avec de lourds tracteurs, économies d'énergie) et aussi
riziculture qui occupe une place importante dans cette région du sud (mais
également dans les plaines de la région centrale). On voit aussi
de vieux tracteurs russes, rouillés ou démontés...
Spectacle
habituel des moyens de transports en commun et des amarillos, de villages
rivalisant d'ingéniosité dans le déploiement de la propagande,
de temples baptistes mais aussi méthodistes. Spectacle moins ordinaire,
d'électricien au travail sous son ombrelle sur une ligne. Elevages de volailles
en batteries... "Arbres du touriste" et superbe baobabs...
Puis
nous entrons dans une plaine basse, Llanura de Zapata, et des marécages
(cienagas). La roche qui affleure, rend le sol imperméable et peu
fertile, ce qui n'est pas sans faire penser à certaines parties du Yucatan.
Une armée de bûcherons procède à la coupe des arbres
maigres afin de les transformer en charbon de bois. Dans cette région sans
relief et très exposée aux ouragans, les chaumières traditionnelles
cèdent la place à des maisons basses de type préfabriqué.
CIENAGA DE ZAPATA et BAIE DES COCHONS.
Réserve
naturelle classée au patrimoine de l'UNESCO
,
c'est la plus importante des Caraïbes, formée de marécages,
de tourbières, de marais salants
abritant en particulier des oiseaux
(et aussi des crocodiles). L'ouest est formé par la Peninsula de Zapata
du nom de son premier propriétaire (en 1636). Cette réserve enserre
la fameuse Baie des Cochons.
C'est ici que le 17 avril 1961, un groupe de
1300 (ou 1400?) contre-révolutionnaires soutenus par la CIA et le gouvernement
américain échoue dans sa tentative de débarquement qui faisait
suite à des bombardements aériens des grandes villes les jours précédents
à l'aide d'avions grimés aux couleurs de Cuba. Les combats sont
finis dès le 19 avril et la plupart des envahisseurs seront fait prisonniers
car finalement l'appui aérien sur lequel ils comptaient fit bizarrement
défaut.
Evidemment après cela, la guerre froide se refroidit
un peu plus.
Il y aura des suites. Toujours sous la menace, Cuba se rapproche
un peu plus de l'URSS qui installe des rampes de lancement de fusées (des
missiles à moyenne portée sachant que la Floride est à 150 km
seulement) le 14 octobre 1962. Les USA ripostent par un blocus maritime de l'île
et le monde frôle une troisième guerre mondiale qui cette fois aurait
été une apocalypse nucléaire. Finalement les Russes démantèlent
leurs installations en novembre 1962.
Nous arrivons en vue de la mer au sud de la Baie des Cochons,
à Playa Giron où eut lieu le débarquement avorté des
anticastristes mollement soutenus par les Etats-Unis. De nombreux monuments jalonnent
le bord de la route, édifiés à la mémoire des soldats
cubains morts pendant les affrontements qui eurent lieu du 17 au 19 avril 1961.
Nous longeons la baie sur une vingtaine de kilomètres jusqu'à
la Cueva de los Pesces** ("Grotte des Poissons"), un sorte de
gouffre (cenote) plutôt que grotte, situé à quelques
centaines de mètres du rivage. La faille qui est à son origine a
permis à l'eau de mer d'envahir cette piscine naturelle aux eaux sombres
car elle est profonde de 70 mètres. Tant que des nageurs ou plutôt
des plongeurs ne se mettent à l'eau, il est possible d'observer des poissons
multicolores nageant près de la surface de l'eau.
Des sentiers s'enfoncent
dans la maigre forêt sèche qui pousse sur un sol de roche blanche
(anciens coraux) défoncée par l'érosion chimique.
Nous n'avons pas la chance d'être conviés par Fidel dans son île paradisiaque de Cayo Piedra située à seulement 15 kilomètre de la côte, luxueuse résidence (avec yacht et vedettes à l'avenant) protégée par l'armée (avec des missiles) dont les Cubains ignorent jusqu'à l'existence...
Il est temps de déjeuner dans le restaurant dont la terrasse donne sur cette merveilleuse piscine naturelle.
Nous reprenons la route en direction de La Havane (encore près de 300 km) après un court arrêt à Playa Larga, tout au fond de la baie. Nous passons près d'une ferme de crocodiles près de Guama, puis nous franchissons la porte de la réserve avant de rejoindre l'autopista. On retrouve des zones agricoles (culture de papaye que l'on appelle ici fruta bomba car le mot papaye sert à désigner le sexe féminin dans l'argot cubain!), villages avec la maison à étage(s) du médecin de famille, poste de police et, chose plus extraordinaire, camion transportant des voitures récentes mais, vérification faite, ce sont des voitures de location qui sont ainsi rapatriées...
Nous arrivons enfin dans les faubourgs de La Havane...
CUBA