2008 - Troubles au TIBET et menaces sur les Jeux Olympiques de Pékin

 

Les tensions entre la Chine et les démocraties occidentales à l'occasion de JO et en réaction à la répression des manifestations survenues au Tibet pour commémorer le 49ème anniversaire de la grande révolte du 10 mars 1959, sont caractérisées par un certain nombre de malentendus et de maladresses. Comment en sortir sans que tout le monde soit perdant ?

Livrons nous un peu à de la géopolitique de comptoir...


LA CHINE N'ETAIT PAS MURE

L'erreur fondamentale a été de ''donner'' les J.O. à la Chine en 2001 (année où par ailleurs on l'accueillait dans l'Organisation Mondiale du Commerce). C'était laisser trop peu de temps à la Chine d'évoluer sur le chemin des Droits de l'Homme comme elle s'y était engagée. Qui en est coupable ? C'est le fait du Comité Olympique International, instance supranationale, sans aucun fondement démocratique. En quelque sorte, une institution et un régime faits pour s'entendre dans l'optique de briller face au monde.

L'évocation du Tibet a tendance à masquer le problème général des Droits de l'Homme et devient en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt. D'ailleurs pendant que se déroulent ces évènements tibétains, les autorités chinoises continuent de réprimer et de condamner des opposants politiques chinois.

Il faut aussi s'interroger sur nous-même.
Devons-nous nous ériger en donneurs de leçons et en procureurs implacables. Malgré nos siècles passés éclairés par les Lumières, cela ne nous a pas empêchés de commettre encore trop longtemps l'esclavage puis de persister dans la colonisation. Comment dans la réalité se traduisent nos grands idéaux (Liberté : voir le comportement de nos policiers lors du passage de la flamme olympique à Paris, Egalité : voir le nombre croissant de laissé-pour-compte dans nos sociétés, Fraternité : voir les condamnation à une double peine ou les conditions d'emprisonnement indignes)…
Et qu'en est-il de notre respect des cultures et langues régionales au sein de l'Hexagone ? Des internautes chinois nous mettent en demeure de donner l'indépendance à la Corse…

PETIT RAPPEL HEXAGONAL
L'Etat jacobin n'a eu de cesse depuis la Révolution de persécuter les cultures régionales et les tendances girondines qui caractérise aussi la France. Pays schizophrène et pétri de contradictions...
Une Charte européenne des langues régionales et minoritaires a été adoptée par le Conseil de l'Europe, le 25 juin 1992, à Strasbourg (!), et à l'aube du XIXe s. la France est toujours à la traîne, la Charte restant lettre morte sur son territoire. L'objectif de cette charte est de protéger et de promouvoir (rendre accessible leur apprentissage, non-discrimination dans l'utilisation) ces langues en tant qu'éléments menacés du patrimoine culturel européen. Or l'Etat en France ne protège pas ces langues, il les tolère...
La Convention sur les langues régionales que la France s'est enfin résolue à signer à Budapest, le 7 mai 1999, n'est qu'un coup d'épée dans l'eau car la prise en compte de la Charte imposerait de modifier la Constitution, vaste chantier que peu d'hommes politiques ont eu le courage d'affronter... jusqu'à tout récemment.
En matière d'ouverture linguistique, la France apparaît donc comme un bien mauvais élève de la Communauté Européenne et même sur la scène mondiale (cf. l'article "The Sounds of Silence" du magazine américain "Newsweek" du 19 juin 2000).

MALADRESSES ET MALENTENDUS

Qui manipule qui (Chinois casseurs mêlés aux manifestants tibétains, contre manifestants chinois à la solde de leur ambassade ou consulat dans les villes occidentales)?
Quels sont les vrais enjeux ?

L'Occident appuie une revendication d'autonomie que les Chinois traduisent en revendication d'indépendance.
Le dalaï-lama proclame qu'il est prêt à démissionner pour apaiser les tensions alors que Pékin l'accuse d'être à la tête d'une "clique" fomentant ces troubles.
La Chine reproche à l'occident son impérialisme mais pendant ce temps elle se livre à une mise en coupe réglée de type colonial en Afrique et en Amérique latine.
Un service d'ordre chinois accompagne le parcours de la flamme olympique à l'étranger en ajoutant un peu plus de pagaille aux manifestations de soutien organisées en faveur du Tibet.
Ici, on parle de boycott symbolique des cérémonies officielles des JO, là-bas on riposte avec des menaces de boycott de nos produits, boycott symbolique puisque Carrefour en Chine c'est au moins 90% de produits de personnels chinois... ce type de boycott ne peut faire que long feu. Ici, on surenchérit sur le même registre commercial. Pourquoi cet acharnement à l'égard de la France? Notre pays serait paraît-il "le maillon faible"...
Au final, il paraît que nous aurions moins à y perdre (centrales nucléaires, Airbus ou TGV) que la Chine (textiles, jouets, électroménager, matériels électroniques : TV, ordinateurs, téléphones…) dont nous ne saurions plus nous passer. Sauf que d'un côté ce serait un boycott institutionnel solide tandis que nous ne saurions y opposer qu'un boycott désordonné et bien friable. En représailles, les Chinois pensent aussi au boycott touristique de la France. Là on y perd car ils sont 600 000 à venir nous visiter chaque année alors qu'il n'y a que 400 000 Français à se rendre en Chine.

Et attention au décalage entre les opinions publiques occidentales et leurs gouvernements. Attention aussi à l'absence, une fois de plus, de cohérence au sein de la Communauté Européenne...

RACCOURCIS HISTORIQUES SUR LE TIBET


L'ancien royaume du Tibet (organisé vers le VIe s.), après être passé sous le contrôle des Mongols au XIIIe s., retrouve un siècle plus tard une indépendance troublée de querelles intestines (même entre monastères) qu'il préservera jusqu'au début du XVIIIe s. tandis qu'émerge un régime politique de plus en plus théocratique aux mains du dalaï-lama.
Dès lors, le pays passe sous le contrôle de la dynastie chinoise des Qing, sous une sorte de protectorat (1720-1911). Le pays est en conflit avec ses voisins du Népal et du Ladakh.

A partir de 1904, les Anglais interviennent au Tibet afin de faire barrage à l'expansionnisme russe. Un régime d'autonomie est mis en place mais sera contesté tant par les derniers souverains Qing que par la République de Chine que par la République Populaire, qui aussitôt après sa mise en place, envahit le Tibet en 1950 sans que la Grande Bretagne ou l'Inde ne bronchent. Une certaine autonomie est maintenue avec des compromis tels que l'abolition de pratiques féodales (servage) et l'adoption d'une constitution tibétaine assortie de la désignation du dalaï-lama comme président du pays et comme vice-président du Congrès national du peuple.

Mais c'est trop de bouleversement pour les communautés monastiques qui soulèvent les paysans (crainte de l'établissement de communes populaires) et fomentent des troubles et des actions de guérilla à partir de 1956 et jusqu'à la grande révolte de Lhassa du 10 mars 1959.
Lors de ces évènements, quelque 87 000 Tibétains sont morts tandis que le dalaï-lama et 200 000 Tibétains s'exilent en Inde. Le pays est démembré (parties rattachées aux provinces voisines) par les autorités chinoises, tandis que la Révolution Culturelle lancée avec le retour aux affaires
(après une éclipse depuis 1959) de Mao Zedong de 1965 à 1972, s'acharnera sur sa culture du Tibet et sur ses habitants (destruction des temples, stérilisation des femmes). Bien avant Mao, K. Marx ne considérait-il pas que "[les peuples minoritaires] ...sont un défi à la Révolution (et qu'ils devront) disparaître de la surface de la terre lors de la prochaine guerre mondiale. Ce sera un progrès".

Un assouplissement au début des années 80 fera long feu en raison de nouvelles manifestations durement réprimées. La main mise chinoise s'est encore accrue depuis les années 90 avec la colonisation de peuplement Han, les Chinois sont aujourd'hui plus nombreux au Tibet que les Tibétains (8 millions contre 6 millions) tandis que le pays est mis en coupe réglée afin d'en accaparer les ressources (or, cuivre, plomb et tout simplement l'eau, denrée précieuse qui fait tellement défaut en Chine).

 

 

 

LE POIDS D'UNE CULTURE



Comme un leitmotiv, les Chinois disent tous spontanément que la démocratie est difficile à envisager dans leur pays car ''[ils] …sont trop nombreux''. Même s'il existe une cohérence ethnique dans une telle masse, la reconnaissance de l'individu amènerait fatalement à un certain désordre voire à l'apparition de forces centrifuges.

Il faut considérer que la Chine vit depuis 4000 ans sous des régimes autoritaires. Le communisme n'est qu'une nouvelle forme d'empire autocratique mâtiné d'oligarchie (en évolution vers une ploutocratie).

Il ne faut pas oublier également le poids du confucianisme dans la culture chinoise. Par une éducation normative, il prône le respect de l'autorité et d'un ordre hiérarchique (des parents, des maîtres, des monarques) sage et vertueux (qualificatif que lesdits souverains oublient en général).
Son avatar, le légisme (qui fut en vigueur sous la dynastie Qin au IIIe s. av. JC) allait plus loin en prônant l'absolutisme et l'exercice du pouvoir autoritaire indépendamment de toute considération morale en s'appuyant sur la paysannerie, l'armée et des fonctionnaires rigoureusement sélectionnés et ...sanctionnés. On a l'impression que le maoïsme a su l'intégrer aux doctrines marxistes-léninistes.


 

 

CONSIDERATIONS TACTIQUES


Pour gérer la crise, il faudrait prendre en compte quelques aspects tactiques particuliers.
Serait-il possible de s'appuyer sur la technique de certains arts martiaux orientaux dans lesquels il faut savoir utiliser la force de l'adversaire pour le mettre à terre ?
Comment aller vers un compromis sans faire perdre la si précieuse face collective de tout un peuple qui a tant idéalisé ces jeux ?
Sur quoi faudrait-il être intransigeant ? La liberté totale de circulation des journalistes en Chine ? La retransmission des cérémonies et épreuves des JO en direct absolu (évocation chinoise de recours au différé) ?

Au final, une fois la fièvre olympique passée que restera-t-il de toute cette agitation politique et géopolitique ? Un tour de vis supplémentaire pour les Tibétains ou un assouplissement dans quelque temps (pour préserver la face chinoise) ? Une ouverture démocratique des institutions politiques chinoises ou un durcissement avec un repli dans l'autoritarisme ?
Pour ma part, je me risque à pronostiquer une éviction de Hu Jintao (Président de la République, secrétaire général du parti communiste et chef des armées) et de sa "clique" pour ne pas avoir su prévenir et contenir les évènements tibétains ce d'autant plus qu'il a été gouverneur de cette province il y a quelques années. Dans les mois qui vont suivre les JO, il faut s'attendre à des purges comme on s'y entend dans les partis communistes de ces dictatures.

La CHINE redeviendra-t-elle "le Pays du Milieu", nouveau centre du monde... (comme sur cette carte centrée sur les Océans Indien et Pacifique) ?
...et si la Chine n'était qu'un ''colosse aux pied d'argile'' ?

Au fond, la grande peur des dirigeants chinois ne vient-elle pas du précédent qu'a constitué l'effondrement du bloc soviétique et, deux ans plus tard, l'éclatement de l'URSS (21 décembre 1991) qui se sont produit après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.
Si après un Tibet (réunifié dans ses frontières historiques) qui s'émanciperait de la Chine en devenant vraiment autonome sinon indépendant, c'était au tour du Xinjiang (région autonome peuplée surtout de Ouïgours et de Huis musulmans), de la Mongolie intérieure (autre région autonome), de la Mandchourie (provinces de Heilongjiang et Jilin)…